Par Jacques Pellegrin, archéologue, préhistorien, directeur de recherches au CNRS, membre du laboratoire 'Préhistoire et Technologie' de la Maison de l'Archéologie et d'Ethnologie.

 

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Cet intérêt pour le passé, qu’il soit celui de notre espèce, des animaux ou plus généralement du monde vivant qui peuple notre planète, s’explique par la prise de conscience, somme toute assez récente, de la longue évolution qui a précédé la diversité biologique actuelle. Depuis moins de trois siècles, la géologie puis la paléontologie et enfin l’anthropologie ont démontré successivement l’ancienneté des êtres vivants.

Depuis 150 ans environ, la théorie de l’évolution   élaborée par Charles Darwin est devenue la base de la réflexion qui anime les différentes  disciplines qui tentent de répondre aux quatre grandes questions suivantes : Pourquoi ? Quand ? Comment ? Et où ?

 

Ossements humains

En ce qui concerne les hommes fossiles, les fouilles permettent de mettre à jour les objets et les habitats  ainsi que les traces, plus rares, mais tout aussi importantes, de leur spiritualité :  sépultures, grottes ornées, etc.

 

 

 

Fossiles animaux

squelette mammouthA cette prise de conscience de l’ancienneté du  vivant s’est ajouté la question de l’émergence de l’homme et des différents modèles sociaux et  techniques des sociétés qui ont précédé notre   époque contemporaine. Les fouilles archéologiques sont les seuls moyens de  retrouver les archives fossiles qui ont été plus  moins bien conservées dans les sédiments ou dans les milieux humides (tourbières, lacs, rivières…), au cours des temps géologiques ou  préhistoriques qui ont vu se succéder les formes et les vestiges des organismes vivants disparus aujourd’hui.

 

De la Préhistoire au Moyen-Age

Les techniques archéologiques servent autant les préhistoriens que les historiens : elles ajoutent à l’architecture et aux archives écrites, parcellaires pet souvent partiales, un ensemble d’informations qui apportent des éclairages souvent irremplaçables sur le quotidien des hommes de l’Antiquité ou du Moyen Age en ce qui concerne l'Occident.

De plus les méthodes de datation, d’abord indirecte, relatives, et procédant principalement d’une lecture géologique, sont devenues de plus en plus précises, absolues, avec l’arrivée, au milieu du XXème siècle, de méthodes basées sur la transformation de certains atomes radioactifs qui voient leur masse changer aux cours de périodes plus ou moins longues. Des progrès importants ont été réalisés dans l’étude des sédiments, des pollens, de la faune, etc. Ces informations compilées, recoupées et interprétées permettent aux chercheurs des sciences de la Terre et des sciences Humaines de mieux comprendre les événements passés et leur enchaînement.

Au centre de cette réflexion sur le passé, l’histoire de l’hominisation occupe une place prépondérante dans la mesure où les questions actuelles tournent autour de cette émergence. A cette volonté de comprendre le passé, on tente de comprendre également notre présent et peut-être d’anticiper dans une certaine mesure notre futur.


 

L'émerveillement...

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La curiosité, la soif de comprendre et de connaître sont constitutives de la nature humaine. Nous gardons tous, peu ou prou, l’émerveillement et le questionnement de l’enfant : Dis Maman, pourquoi ci ; dis Papa, pourquoi ça ?…

L’Archéologie est d’abord l’un de ces domaines d’émerveillement et de questionnement, comme tous les autres domaines scientifiques. Qui ne s’est, lors de belles nuits, laissé bercer par les étoiles, et n’a voulu en savoir plus sur la formation de l’univers ? Qui n’a pas été fasciné par l’étonnante diversité des animaux, jusqu’à en apprendre les noms depuis son plus jeune âge ?

 

 

 

Les origines de l'archéologie

Il y a une tendance chez l’homme à s’interroger sur les raisons, les principes, les origines de tout ce qui apparaît à ses sens, y compris lui même.

Pendant très longtemps, mythes et religions ont répondu à ces interrogations, non sans une certaine sagesse. Mais, depuis quelques siècles (la Renaissance), s’est dégagée une approche rationnelle de tout ce qui fait le monde, approche fondée sur l’observation, la documentation, et même l’élaboration de théories en attente de vérification.

Cette rationalisation s’est inscrite dans le mouvement occidental dit de la « libre pensée », mais il faut souligner qu’elle plonge ses racines dans plusieurs civilisations antiques (grecque et latine bien sûr, mais aussi arabe pour l’astronomie, l’arithmétique et la médecine), et qu’elle a profité d’inventions et de découvertes d’origine encore plus lointaine (comme la boussole venue de Chine et retransmise à l’Europe par les Arabes).

 

La gestation de l'humanité

L’Archéologie, donc, s’intéresse à la longue gestation de l’humanité. Ici, l’hominisation, c’est à dire la genèse de l’homme moderne depuis les primates, objet de la Paléoanthropologie, n’est que l’aspect le plus apparent, anatomique, de cette gestation.

Assumer que l’homme actuel soit le descendant de primates ancestraux il y a 5 à 10 millions d’années n’est pas si difficile, au regard de l’évolution des lignées de dinosaures qui n’ont plus de secrets pour les enfants. Au moins, la principale leçon de l’Anthropologie est sous nos yeux : la parfaite interfécondité de tous les hommes et les femmes qui peuplent la planète démontre définitivement que nous sommes tous de la même espèce ; tous cousins, de yeux noirs, verts ou bleus, de cheveux raides ou bouclés, bruns ou blonds.

D’évidence, c’est dans ses aptitudes et son comportement–objet de la discipline dite « Préhistoire », que l’homme s’est différencié de l’animal en se dotant du langage, des arts et techniques, mais aussi de la philosophie, médecine et politique, constitutifs de toutes les sociétés humaines des plus nues aux plus habillées.dessin

 

Le phénomène humain

Le phénomène humain dans ses aspects psychologiques et sociaux, c’est à dire l’humanisation plutôt que l’hominisation, est bien le fond de l’affaire, le sujet essentiel de l’Archéologie.
Sous quelles formes se sont constituées les sociétés humaines ? Comment et pourquoi se sont-elles diversifiées, ont elles évoluées ?
Et, puisque l’interrogation s’ajoute à la soif de savoir ; perçoit-on un sens dans ce phénomène, ou au moins certaines règles ?
Et c’est à ce point que l’Archéologie trouve sa légitimité : c’est par un regard sur le Passé, et pas seulement sur l’état instantané du monde, que nous pouvons nous instruire sur ce que nous sommes et considérer notre Avenir.

Dans ce sens, l’intérêt de l’Archéologie, comme celui de l’Histoire enrichie de ses archives mais si tardivement, et de l’Ethnologie qui nous ouvre sur ces Autres qui sont aussi nous-mêmes, est en soit constitutif de la conscience humaine.

 

Les méthodes

L’Archéologie s’est d’abord consacrée à l’étude des monuments que nous ont laissé certaines civilisations antiques (Egypte, Mésopotamie, mondes grec et romain, civilisations précolombiennes d’Amérique centrale et du sud, etc).Puis elle s’est étendue au cours du XIXème siècle à la Préhistoire et à la Protohistoire, quand se sont imposées d’une part la notion de la très grande ancienneté de l’espèce humaine, et d’autre part celle de stades évolutifs : depuis les groupes de chasseurs-collecteurs des interminables premiers temps émaillés d’époques glaciaires (Paléolithique), suivis ça et là des premiers villages d’agriculteurs-pasteurs (Néolithique), puis des sociétés plus complexes de la Proto-Histoire (âges du cuivre, du bronze, du fer) tandis qu’apparaissent cités-états et empires qui inventent diverses formes d’écriture et nous laissent alors des archives à déchiffrer (Histoire)...